Vivre écolo n’est pas réservé aux riches

http://vert.courrierinternational.com/files/imagecache/article/illustrations/article/2009/10/2310-Kopelnitsy-T.jpgL'un des projets d’urbanisme les plus ambitieux en matière de réduction d’émissions de gaz à effet de serre au Royaume-Uni n’est pas un lotissement pour cadres dirigeants dans les Cotswolds [chaîne de collines du centre de l’Angleterre, réputée pour sa beauté], ni une jolie écoville. Il se situe en plein centre-ville, dans le sud-est de Londres, dans une rangée de modestes maisons des années 1970. Les 130 habitants en sont pour la plupart des artistes et des étudiants. Sanford Walk, une voie privée du quartier de New Cross bordée de quatorze maisons gérées collectivement et par­tagées, et de plusieurs appartements construits il y a trente-cinq ans pour loger des personnes seules, souffre de toutes les pollutions passées et modernes. Coincé entre des voies de chemin de fer, sous le vent d’un des incinérateurs géants de Londres, ce quartier a été bâti sur une friche industrielle, presque sur le site de l’Old Den, le célèbre terrain de football de Millwall. Celle-ci se distingue par une grande fresque peinte dans les années 1980 par l’artiste britannique Brian Barnes, représentant Margaret Thatcher, Michael Heseltine [ministre de la Défense de Margaret Thatcher] et Ronald Reagan chevauchant des missiles de croisière.
Pour comprendre comment la première coopérative de logements de Grande-Bretagne – inaugurée en 1973 par le prince Philip – est devenue une communauté écologique adaptée au siècle du changement climatique, il faut remonter à l’origine, déclare Nick Raynsford, député de Greenwich et ancien ministre du Logement. A l’époque, il travaillait avec l’association Shelter et avait contribué à mettre sur pied la coopérative. “A la fin des années 1960, les étudiants commençaient à rencontrer de vrais problèmes, se souvient-il. L’éducation supérieure se généralisait et les étudiants n’avaient pas accès à des logements décents. Nous avons regardé quelques sites dans le coin. Le district de Lewisham nous soutenait et le site de Sanford ne coûtait pratiquement rien. L’idée d’une coopérative créée et dirigée par des étudiants, avec des chambres individuelles et un espace commun, était très en avance, à l’époque.” C’est toujours le cas. “Tous les occupants sont collectivement propriétaires et doivent participer à la coopé”, explique Mark Langford, de CDS Co-operatives, l’organisation qui gère le domaine pour les habitants.
On se croirait à la campagne, loin de la métropole
“Les choses peuvent être dures à Londres pour les personnes seules – on est vulnérable. Nous choisissons soigneusement les nouveaux arrivants et nous avons tendance à prendre des gens qui ont des idées proches des nôtres ou qui pourront faire progresser la coopé”, confie Lee Simmons, un administrateur culturel qui vit ici. Le loyer est de 50 livres [54 euros] par semaine seulement – impôts locaux, chauffage et électricité compris –, et Sanford est aujourd’hui très couru par les écrivains, les artistes, les cinéastes, les musiciens et les architectes. Le département des arts de Goldsmiths [qui fait partie de l’université de Londres] et l’école de danse Laban sont tout proches. Une trentaine de places se libèrent à peu près annuellement, mais beaucoup d’habitants restent des années et certains vivent même là depuis l’origine du projet.
Les résidents ont transformé Sanford. Le sol était trop pollué pour qu’on y fasse pousser des fruits et les légumes. On a donc apporté de la terre pour créer des potagers et des vergers. Six bassins reliés les uns aux autres accueillent des poissons rares, et, si la ligne de chemin de fer d’East London ne passait pas à quelques mètres de là, on se croirait à la campagne, loin de Londres. “La volonté de s’attaquer aux problèmes écologiques de la planète a aidé les habitants à améliorer leur lieu de vie”, explique Alistair Cormick, coprésident, jardinier et étudiant en sylviculture. Le passage à l’énergie durable a été l’une des plus grandes décisions jamais prises par la coopérative. Elle a été provoquée à la fois par la prise de conscience du changement climatique et par la dégradation des bâtiments, vieux de trente ans. Mais les choses ont pris bien plus de temps et coûté bien plus cher que ce que tout le monde imaginait. Après de longues discussions, entamées en 2001, les résidents ont décidé d’être le plus ambitieux possible. Ils ont demandé aux consultants d’“être radicaux […], [de] n’exclure aucune mesure et [de] présenter un projet occasionnant le moins de perturbations possible aux résidents”.
Les premiers projets, évalués à 1,5 million de livres [1,6 million d’euros], ont été rejetés. Il y a eu ensuite des mois de consultations et de réunions. Un groupe de résidents s’est rendu au Centre for Alternative Technology, dans l’ouest du pays de Galles, pour suivre un cours accéléré de technologies de l’environnement. L’Energy Savings Trust (EST) a financé une étude de faisabilité, et trois architectes ont été invités à présenter un projet.
Finalement, raconte Jim Noble, le président élu de la coopé, les gens ont opté pour des chaudières à granulés de bois, des chauffe-eau solaires, l’isolation complète du toit et des murs, la refonte des cuisines, des systèmes d’aération, ainsi que des doubles vitrages. “Je suis étonné de voir à quel point les gens sont partants, confie Lee Simmons. Il y a toujours beaucoup de discussions, mais en général les décisions sont prises à l’unanimité.” C’est une réussite à presque tous les niveaux, déclare Jim Noble. Les émissions de gaz carbonique de la coopé sont passées de 228 tonnes en 2003 à 91 tonnes en 2009, soit une réduction de 60 %, et les factures de fioul ont radicalement baissé. Cette restructuration complète a quand même coûté près de 900 000 livres, une somme que Sanford a dû en grande partie financer. Le programme C60 de l’EST et EDF Energy ont à eux deux versé 125 000 livres d’aides, et le district de Lewisham a payé les consultants. Mais les 129 résidents ont décidé de piocher largement dans les 600 000 livres de réserves que la coopé avait accumulées au fil des ans en prévision de grands travaux de rénovation. Ils ont également augmenté de 5 livres chacun leur contribution hebdomadaire, afin de souscrire un nouveau crédit auprès de la banque éthique néerlandaise Triodos.
Tous viennent prendre conseil à Sanford
Ce plan de conversion aux énergies vertes a par ailleurs débouché sur d’autres initiatives artistiques et écologiques. Christos Choraitis, un architecte grec qui vit là, a conçu et construit un grand garage à vélos pour les quelque 90 bicyclettes du quartier à partir de vieilles traverses de chemin de fer récupérées. Cet édifice imposant comprend une salle de répétition musicale, une sculpture et un jardin bio en terrasse. Sanford débat actuellement de la construction éventuelle sur un terrain abandonné adjacent d’un centre communautaire fabriqué à partir de ballots de paille, comprenant studios et es­paces dédiés à la danse et à des cours d’arts martiaux.
De même que Sanford était un véritable modèle pour les coopératives de logements dans les années 1970, il devient un exemple de ce qui se fait de mieux en matière d’habitat durable, affirme Jim Noble. Les associations de logements, les coopératives et les organisations de résidents qui souhaitent rénover leur lieu d’habitation ou faire revivre leur communauté au moyen de l’énergie verte viennent tous prendre conseil à Sanford. Ce que cet exemple nous montre, c’est que vivre de façon écologique n’est pas réservé aux riches, et que les jeunes organisés en coopératives sont particulièrement à même de prendre les décisions à long terme exigées par le changement climatique. ( Fonte: www.courrierinternational.com)

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