POLLUTION • Une tradition hindoue à jeter

http://www.courrierinternational.com/files/imagecache/article/illustrations/article/2013/01/1161/1161-gange_pollution.jpgLors de chaque Durga Puja [fête de Durga, principale célébration des hindouistes], les organisateurs, artisans et artistes du Bengale aspirent à atteindre leur sommet créatif. Les pandal, les temples éphémères [dressés pour l’occasion], leur décoration et même leurs idoles transmettent des messages soigneusement choisis. De la victimisation de Sourav Ganguly [ancien capitaine de l’équipe indienne de cricket] aux effets néfastes de la politique étrangère américaine, les thèmes varient, du local à l’international. A l’automne dernier, plus d’une vingtaine de puja [cérémonies d’offrande à une divinité] de Calcutta ont été consacrées à l’écologie.
Cette fois, les thèmes touchaient à tout, des dangers du clonage humain à la pollution marine à Goa en passant par la préservation de l’eau et la pénurie de hilsa [un poisson local]. Près d’une dizaine de puja étaient placées sous le signe de la culture et de la philosophie tribales tandis que deux au moins évoquaient la triste situation du Gange. Pourtant, une fois la fête terminée, des milliers d’idoles ont été jetées dans le fleuve Hooghly, dans certains lacs et étangs de la ville choisis par les autorités, et dans des centaines d’autres dans tout l’Etat. Depuis quelques années, Calcutta a mis en place une infrastructure qui permet de récupérer les idoles avec une grue immédiatement après leur immersion de façon à ne pas polluer le fleuve. Il est toutefois impossible de ramasser tous les morceaux d’argile et de bois couverts de peinture au plomb qui partent à la dérive. Pour être juste, certains organisateurs avaient opté pour des idoles en métal ou en fibre de verre destinés à devenir des objets de collection après la fête. D’autres avaient utilisé de la peinture bio. Il s’agissait cependant d’exceptions.

Un organisateur rongé par la culpabilité, qui brûlait d’éveiller les consciences à propos de la pollution du Gange, a reconnu que ses idoles avaient été elles aussi immergées dans un lac du sud de Calcutta désigné par les autorités. “Nous n’avions pas le choix, c’est la tradition religieuse”, a-t-il expliqué, mal à l’aise.
Or la religion n’exige pas que les idoles soient immergées dans les cours d’eau et les lacs. D’après les prêtres, la coutume du tarpan – qui consiste à psalmodier des hymnes pendant que le visage de l’idole se reflète dans l’eau contenue dans une soucoupe – met fin au processus d’immersion. Rien n’interdit de réutiliser les mêmes idoles pour plusieurs puja. Cependant, rares sont ceux qui font appel à des statues réutilisables, faites d’une autre matière que l’argile, ou qui se dispensent de la tradition d’immerger les objets du culte dans les eaux naturelles.

On préfère discuter de solutions inefficaces, comme la construction de murs de béton sur certaines parties du fleuve et sur les rives des autres étendues d’eau pour délimiter des zones d’immersion permanentes. Or barrer une rivière a un coût écologique trop élevé pour que l’on continue à pratiquer cette coutume dépassée. L’immersion des idoles n’est aujourd’hui qu’un prétexte pour étendre la fête au-delà de sa durée normale.

Les traditions religieuses orientales ont toujours adoré la nature. Le Prithvi Sukta (hymne à la terre) de l’Atharva-Veda [le quatrième Veda, consacré notamment aux questions mystiques] est peut-être la plus ancienne expression de la défense de l’environnement. Les temps ont changé et des coutumes imbéciles ont remplacé ces valeurs. Nous transformons aujourd’hui nos singes en monstres en les nourrissant pour racheter nos péchés. Nous piétinons et salissons nos plus belles forêts lors des pèlerinages. Nous faisons parader des éléphants, sacrifions des chèvres et jetons tout dans les fleuves, des restes humains aux fleurs des puja quotidiennes.

Mais si l’on est convaincu que quelques gouttes de l’eau du Gange ont le même effet purificateur qu’un plongeon dans le fleuve, pourquoi a-t-on besoin de plus d’une soucoupe d’eau pour le rituel de l’immersion ?
Source: http://www.courrierinternational.com/article/2013/01/31/une-tradition-hindoue-a-jeter-0

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