Babel No More - de Michael Erard
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Babel No More est un livre sur les polyglottes » serait la manière la plus simple de présenter cet ouvrage. Il s’agit d’un mélange d’enquête et de fascination sur ce que l’on appelle les hyperpolyglottes, ces personnes qui parlent un minimum de 6 langues couramment (certains placent ce chiffre à 11). L’auteur, Michael Erard, un journaliste américain ayant des origines françaises, part à la recherche de ces personnes rares et impressionnantes, avec pour objectif de percer leur secret. Il confesse également être mauvais en langues ce qui explique à la fois sa curiosité et sa fascination pour le phénomène, tout en limitant malheureusement, à mon avis, l’intérêt éducatif du livre.
Si un tel sujet donne certainement envie d’en savoir plus à tout amoureux des langues vivantes, et si le livre fournit une très vaste quantité de pistes à explorer, je dois au final avouer avoir été déçu, sans pour autant pouvoir m’empêcher de le recommander. Je veux vous présenter ici les raisons de cet avis mitigé et ce que vous pouvez espérer trouver dans ce livre, tout en précisant ce que vous n’y trouverez pas.
Critique de Babel No More
nous embarque d’abord sur les pas de Giuseppe Mezzofanti, un cardinal du 18ème siècle réputé parler une trentaine de langues couramment et en connaître près de cent. Cette figure à la fois historique et mystérieuse nous amène en Italie puis la recherches d’équivalents modernes — d’hyperpolyglottes — nous amène à voyager dans d’autres pays. Nous sommes face à une sorte d’aventure, qui se lit à vrai dire au début très bien, pour perdre ensuite en panache et s’avérer un peu frustrante.
Le principal reproche que je fais à Babel No More est de se lancer dans une investigation scientifique — pourquoi et comment certaines personnes développent des capacités hors du commun en langues vivantes — sans pour autant s’en donner les moyens. Par exemple, une conclusion à laquelle arrive rapidement l’auteur est que les hyperpolyglottes constituent ce qu’il appelle une « neural tribe », c’est-à-dire un groupe de personnes unies par un même fonctionnement de leur cerveau, même si elles ne vivent pas forcément dans une même communauté. Si l’idée semble « cool », voire poétique, elle ne repose en revanche sur rien de scientifique. Pas de comparaison de ces « cerveaux » entre eux pour voir s’ils fonctionnent effectivement de la même manière, pas de pistes pour suivre personnellement la même voie. Le livre est ainsi parsemé à la fois de termes techniques et de théories bancales, sans tester leur validité.
Si vous espérez en apprendre davantage sur le fonctionnement du langage grâce à ce livre, vous serez probablement, comme moi, bien déçu. La promesse ou l’espérance de faire tomber la barrière des langues, fournie par le titre accrocheur du livre, n’est pas du tout tenue.
En revanche, là où le livre brille, c’est par le récit des rencontres et des recherches de l’auteur. Babel No More n’offre certes pas de réponse à la manière de développer un don pour les langues mais nous offre bien une mine d’or de références. Qu’il s’agisse de polyglottes, d’hyperpolyglottes ou de linguistes, vous trouverez de nombreuses pistes de personnes à rechercher ou d’ouvrages à lire. Ce livre n’est donc pas tant la clef du polyglottisme que le carnet de voyage d’un auteur parti à sa recherche. Par exemple, j’ai eu le plaisir de découvrir l’existence d’une polyglotte hongroise ayant écrit un ouvrage, en hongrois, sur sa méthode d’apprentissage — ce qui en fait automatiquement un des livres qu’il m’intéresserait le plus de lire en hongrois. La plupart des références sont faites à des personnes et ouvrages anglophones donc si vous ne parlez qu’anglais vous trouverez tout de même votre compte.
Ce qui rend finalement le livre intéressant hors de ces ressources, c’est la recherche d’hyperpolyglottes eux-mêmes par l’auteur et la part de suspense qui l’accompagne. En partant du cardinal Mezzofanti, comment l’auteur arrivera-t-il à ses équivalents modernes? Comment tester la réalité du nombre de langues que ces personnes parlent? Babel No More apporte son lot de questions intéressantes sur les langues.
Le livre communique à ses débuts l’impression que parler plusieurs langues tient du secret - un secret qui serait à percer — pour arriver, au final, à une conclusion plus réaliste. Cette idée de « secret » pour apprendre à parler une langue entretient sans doute la fascination qu’ont les gens pour les langues vivantes en général. Les démonstrations impressionnantes que peuvent faire les hyperpolyglottes reposent, au final, sur des bases simples qui n’ont rien de mystérieux, sinon celui de travailler par passion. Même si certaines prédispositions peuvent aider, c’est avant tout la pratique et le goût des langues vivantes, associés à des techniques efficaces, qui créent ces hyperpolyglottes. Mezzofanti faisait ses devoirs et les hyperpolyglottes modernes révisent eux aussi. Ne comptez pas sur ce livre pour vous donner une méthode infaillible à suivre en langues. Vous y trouverez simplement quelques idées intéressantes, parsemées au fil des personnages et des rencontres de Babel No More, mais rien de plus.
Je recommande néanmoins ce livre pour la richesse de personnes que vous y rencontrerez et, aussi, parce que c’est sans doute le premier livre sur le sujet! Ce livre ne parviendra peut-être pas en enlever l’aura de mystère qui entoure les langues vivantes, malgré qu’il s’agisse d’un sujet très naturel, mais il aura au moins le mérite de vous emmener dans une aventure d’un nouveau genre et, peut-être, d’alimenter votre motivation à apprendre une ou des nouvelles langues.
Au passage, Babel No More est aussi le premier livre que j’ai lu en anglais sur Kindle. Les outils intégrés pour surligner et prendre des notes se sont révélés très utiles et je profite de cet article pour partager avec vous, ci-dessous, les noms que j’ai pu relever au fil de ma lecture.
Pour conclure, achetez ce livre pour partir à la découverte de polyglottes modernes ou historiques, pas pour développer votre capacité à apprendre une langue.
Notes sur Babel No More
Babel No More contient de très nombreuses références à des polyglottes ou à des linguistes d’intérêt. Les voici compilées par mes soins (par ordre d’apparition dans le livre). La mise en gras est la mienne, pour les noms que j’ai jugé les plus intéressants (notamment fonction de la preuve de leurs capacités et de l’existence de livres à leur sujet) :
- Carol Myers-Scotton, linguiste experte du bilinguisme
- Arpan Sharma, Brittanique réputé parler 11 langues
- Giuseppe Mezzofanti, le cardinal italien, 30 langues couramment, près de 100 connues
- Claire Kramsch, linguiste à University of California in Berkeley, experte du multilinguisme
- Robert DeKeyser, linguiste à University of Maryland, sur l’acquisition des langues
- Sir William Jones, juge britannique n Indes, réputé connaître 28 langues
- Christopher, handicapté mental, réputé connaître 20 langues et sujet du livre The Mind of a Savant: Language Learning and Modularity
- Joseph De Koninck, psychologue Canadien
- Vivian Cook, linguiste britannique, sur la « multicompetence » and le « total language system »
- Harold Williams, journaliste néozélandais, réputé conaître 58 langues
- George Campbell, savat écossais, réputé connaître 44 langues
- Elizabeth Kulman, jeune fille russe, répuétée connaître 11 langues
- Ira T. O’Brien, forgeron américain, réputé connaître 8 langues
- Elihu Burritt, forgeron américain, réputé connaître 50 langues
- Jeremiah Curtin, américain, réputé connaître 70 langues
- Ken Hale, linguiste à MIT, réputé connaître 50 langues
- Rainer Ganahl, artiste autrichien installé à New-York, utilise le multilinguisme dans ses oeuvres
- Ellen Jovin, blogueuse qui tente d’apprendre 13 langues en trois ans
- Katherine Russel, auteur de Dreaming in Hindi
- Deborah Fallows, auteur de Dreaming in Chinese
- Yo Sakakibara, éducateur japonais, fondateur du Hippo Family Club
- Erick Gunnemark, suédois, auteur de Polyglottery Today et The Art and Science of Learning Languages, réputé pouvoir traduire 47 langues
- Eugen M. Czerniawski
- Ziad Fazah
- Arvo Juutilainen
- Donald Kenrick
- Emil Krebs, diplomate allemand, réputé parler 68 langues
- Lomb Kató, hongroise, auteur de Így tanulok nyelveket (1970) ou How I Learn Languages (2008)
- Pent Nurmekund
- Stephen Krashen, linguiste à University of Southern California, sur l’acquisition du langage
- Alexander Arguelles (pseudonymes : Ardaschir, ProfASAr)
- Ryan Boothe, blogueur
- Andrew Cohen, linguiste à University of Minnesota et hyperpolyglotte
- Helen Abadzi, travaille aux programmes éducatifs de la Banque Mondiale, réputée intermédiaire dans 19 langues
- Harry Bahrick, psychologue, sur l’évaluation du niveau d’anglais
- Ellen Winner, psychologue à Boston College, sur la « rage to master »
- John Schumann, linguiste à UCLA, spécialiste en neurobiologie appliquée à l’apprentissage des langues
- Loraine Obler, neurolinguiste américaine, City University of New-York, co-auteur de The Bilingual Brain: Neuropsychological and Neurolinguistic Aspects of Bilingualism (1978) et co-éditrice de The Exceptional Brain: Neuropsychology of Talent and Special Abilities (1988)
- Graham Cansdale, traducteur britannique qui travaille à la Commission Européenne à Bruxelles, utilise 14 langues pour le travail
- Karl Zilles, directeur du Vogt Brain Research Institute et Katrin Amunts, professeur de neurologie à RWTH Aachen University
- Georg Sauerwein, hyperpolyglotte allemand
- Gregg Cox, américain, réputé parler couramment 14 langues
- Eric Lenneberg, linguiste, « Automatic acquisition from mere exposure to a given language seems to disappear after [puberty]«
- François Grosjean, chercheur, sur le bilinguisme
- Suzanne Flynn, psycholinguiste à MIT, sur le bilinguisme et le trilinguisme
- Steven Pinker, psycholinguiste à Harvard University
- Amorey Gethin, collaborateur de Gunnemark sur The Art and Science of Learning Languages
- Dimitri Spivak, psycholinguiste russe, auteur de Kak stat’ poliglotom (ou « Comment devenir polyglotte »)
- George Henry Borrow, hyperpolyglotte
- Daniel Tammet, auteur et éducateur, autisme de haut-niveau, défi réussi d’apprendre l’islandais en 2 semaines
- Susanne Reiterer, neuroscientifique, imitations et « phonetic language talent »
- Alexander Guiora, psychologue, le concept de « language ego »
- Eugeen Hermans, organisateur concours Polyglotte of Europe
- Johan Vandewalle surnommé De polyglot van Vlaanderen, hyperpolyglotte et gagnant du premier concours avec 19 langues validées
- Derick Herning, écossais, gagnant du second concours avec 22 langues validées
Je prends soin de préciser « réputé » à chaque fois que je mentionne le nombre de langues « parlées » car il est très facile de donner l’impression de parler une langue étrangère face à quelqu’un qui ne la parle pas. Autant que possible, j’ai indiqué le nombre de langues parlées couramment, plutôt que le nombre de langues que la personne avait simplement étudiées.
http://voyageauboutdelalangue.com/polyglottes/babel-no-more-de-michael-erard